Charlotte Planchou porte bien son nom ; deux syllabes franches, qui claquent et s’assument, comme une artiste qui ne ressemble à aucune autre. Chez elle se croisent un lien indéfectible à l‘enfance – son inconscience et ses facéties – une maîtrise vocale affolante et une capacité à accéder aux recoins les moins fréquentés d’une âme riche et forte, bouleversée par les fracas du monde.
Polyglotte, elle l’est puisqu’elle s’exprime ici en cinq langues (français, allemand, anglais, portugais et occitan) et cette capacité à passer d’un monde à l’autre, comme pour mieux polir une personnalité qui naturellement s’impose, fait de Charlotte Planchou une artiste majeure pour laquelle toute tentative de classification est vaine ; elle est à part.
Si Le Carillon respire le Jazz, il dispense aussi un parfum de classique et de pop, comme si on l’on pouvait glisser dans une même fiole Barbara Hannigan, André Minvielle, Alfred Deller et Billie Eilish … Cette opus singulier célèbre l’art d’enregistrer, de sculpter le son en studio, d’envisager le disque comme une oeuvre. Sa trame, simple en apparence, nous offre une infinie palettes de sons acoustiques. Couleurs, nuances, timbres ; tout ici est fondamental. Se mêlent à ces fascinantes sensations auditives de subtiles “distorsions” du son. Telles des hallucinations, elle magnifient une note, une phrase, comme pour mieux entrouvrir la porte des rêves. Ici et là se cachent des sons inhabituels, respirations, soupirs et bruits qui nous tiennent au plus près de la mécanique et de l’intimité de la création.
Mark Priore, l’un des plus brillants pianistes de sa génération, partage avec sa partenaire toutes les promesses d’un talent qui se révèle. Son infinie attention, sa profonde sincérité et un immense esprit créatif le placent bien au delà du simple accompagnateur ; le dialogue est ici permanent et sans limite. Entre ces deux-là, point de politesse mais de l’entente, au sens originel (tendre vers.)
L’album a été mis en scène par Daniel Yvinec, à l’origine de cette extraordinaire rencontre, qui se muera en mille autres surprises sur scène. Il a affiné, avec les deux artistes, répertoire, couleurs et intentions, mettant tout en place pour qu’opère la magie qui fait du Carillon une oeuvre profonde et unique, qui fera date.
Et puisqu’on en parle, le fameux carillon, celui de la grand-mère de Charlotte, s’invite comme le troisième personnage de l’album. Ses sonorités étranges et familières, intemporelles, sublimées par d’habiles traitements sonores nous guident tout au long du disque à travers un voyage sidérant de beauté qui révèle deux talents hors norme et constitue le jalon fondateur d’une aventure en mouvement.